Nombre de cibles moléculaires restent hors d’atteinte des industries pharmaceutiques, et donc des cliniciens. Les raisons varient de l’impossibilité d’atteindre la cible par les voies classiques de la chimie, aux effets secondaires « off-target » inacceptables. Avec le développement des oligonucléotides antisense (OligoA) et des ARN interférents (ARNi), une nouvelle stratégie thérapeutique est née, qui est d’hors et déjà en cours d’évaluation dans des essais cliniques.
Les Oligo A et les ARNi entraînent la dégradation de l’ARNm par la cellule, et interviennent donc en amont de la protéine [1] [2]. Dès lors, pratiquement toutes les maladies associées à des altérations génétiques de type « gain de fonction » sont des cibles de choix. La stratégie des OligoA, bien plus ancienne, repose sur l’hybridation d’un oligonucléotide simple brin synthétique à son ARNm cible, dont il possède une séquence complémentaire. L’ARNm ne peut être traduit ou est détruit par une ou plusieurs enzymes. Les ARNi correspondent à des duplex d’ARN ayant une séquence identique à celle de l’ARN cible. Leur intrusion dans la cellule entraîne une réaction de défense qui est aussi dirigée contre l’ARNm. Dans les deux cas, la délivrance d’acides nucléique aboutit à l’atténuation du gène d’intérêt (knockdown). Il n’y a pas un avantage clair à utiliser une technologie plutôt qu’une autre [3].
Les maladies cardiovasculaires pourraient bénéficier de ces nouvelles technologies mais cela suppose que l’on puisse atteindre foie, cœur ou les vaisseaux, alors que les premières applications visaient des administrations locales comme la rétine. Dans le cadre des dyslipidémies, atteindre les cellules hépatiques en quantité suffisante et de façon durable est souvent un pré-requis La délivrance de simples duplex de SiRNA se heurte à leur dégradation par les nucléases plasmatiques, et leur passage au travers de la membrane cellulaire. L’utilisation de virus comme vecteurs est une solution qui garantirait une efficacité prolongée des SiRNA et les progrès récents dans le domaine ont élargi cette application du foie aux vaisseaux [2]. Le SiRNA dérive alors d’une séquence plus longue (Short hairpine RNA) produite en continue dans la cellule. Mais les problèmes de « safety » doivent être résolus. Une alternative consiste à utiliser de l’ADN plasmidique. L’encapsulation des acide nucléiques dans des structures lipidiques permet de produire un objet furtif et certaines optimisations en cours laissent penser qu’à terme ils ne pénètreront que dans l’organe d’intérêt et par des voies physiologiques [3]. C’est cette technique -et non celle des adénovirus- qui a été retenue pour les premiers essais cliniques prometteurs dans le domaine cardiovasculaire.
Un bon exemple pour illustrer les progrès de ces technologies est celui de l’ApoB. En 2004 les premiers essais concluant chez la souris ont été réalisés à l’aide d’ARNi conjugués au cholestérol et injectés en systémique [4]. Ils avaient mené à l’extinction de 60% du gène dans le foie et de 75% dans le jéjunum à 24h. En 2006, L’apoB a aussi été la cible du premier essais d’administration en systémique d’ARNi chez le primate, encapsulés dans des liposomes cationiques [5]. L’injection s’est traduite par une baisse de 90% de l’expression d’apoB et l’effet est resté significatif sur 11j. Cette durée, qui peut paraître longue ou courte selon que l’on est chercheur ou patient, peut expliquer que le premier essais clinique avec des RNAi injectés en systémique, lancé en 2007, concerne l’insuffisance rénale aigue suite à une intervention chirurgicale (ClinicalTrials.gov : NCT00554359). Cet essai consistera à doser les concentrations plasmatiques de SiRNA après une unique injection intraveineuse. Les récentes communications indiquent des durées d’efficacité d’extinction d’apoB et de la baisse du cholestérol à l’aide d’ARNi de 23j [6].
Les OligoA peuvent aussi aider à diminuer la production d’apoB. Un essais clinique de phase I a été mené chez 36 volontaires et publié en 2006 [7]. Les sujets recevaient une première dose sous cutanée d’OligoA ciblant l’ARNm apoB suivie d’une période d’observation de 4 semaines, puis une injection quotidienne (i.v.) sur trois jours et enfin une injection par semaine en sous cutané, trois fois. Les auteurs ont noté un effet dose-dépendant de la réduction d’apoB100 (14-50%) et du LDL-C (4-44%). La quantité de LDL petites et denses, athérogènes, était réduite de 60% ainsi que la quantité de triglycérides plasmatiques et de VLDL (43% et 60 % à la dose maximale de 400mg). L’effet perdura jusqu’à 3 mois après la dernière injection et les effets indésirables furent assez bénin pour qu’un essais clinique de phase II mené chez des patients modérément hypercholestérolémiques soit lancé et confirme les résultats [1]. Un essais clinique de phase III à la dose maximale de 400 mg est maintenant en cours pour des patients souffrant d’hypercholestérolémie sévère (FH homozygotes, Clinicaltrials.gov NCT00607373) [1]. Comme les auteurs le font remarquer, les baisses de LDL-C observées à la dose maximale (-40%) sont comparables à celles obtenues avec de l’atorvastatin 80mg dans les études REVERSAL (Reversal of Atherosclerosis With Aggressive Lipid Lowering) et TNT (Treating to New Targets) qui avaient montré des effets bénéfiques sur la plaque et le nombre d’accidents cardiovasculaires [8] [9]. Mais les statines ont des effets pleïotropiques bénéfiques que n’auront justement pas les SiRNA… Il est probable qu’ils viendront en complément de celle çi chez les patients à très haut risque, ou seront administrés seuls chez les individus intolérants ou non répondeurs.
D’autres cibles sont à l’étude, en particulier PCSK9, une proprotéine convertase qui inhibe la voie du LDLr et dont les mutations gain de fonction entraînent une hypercholestérolémie parfois sévère [10]. L’inhibition par voie chimique de PCSK9 semble être compromise car la forme circulante agit sur le LDLr comme une simple protéine chaperone. Dès lors, une des stratégies affichées est de l’atteindre à l’aide d‘ARNi ou d’OligoA. Les deux approches ont été mises en œuvre. Seules les informations concernant l’utilisation d’OligoA ont été publiées. L’injection en intrapéritonnéal (deux fois par semaine sur 6 semaines) d’OligoA ciblant PCSK9 chez la souris sous régime gras ont permis une réduction de 53% du cholestérol total et de 38% du LDLC, s’accompagnant d’une augmentation de 2 fois du LDLr hépatique [11]. Les résultats en préclinique chez d’autres espèces sont également prometteurs [6] [11].
En somme, les premiers essais cliniques confirment largement l’intérêt des acides nucléiques dans le domaine cardiovasculaire, en particulier pour traiter les dyslipidémies. Un avantage est aussi que l’on pourrait viser plusieurs gènes au même moment au travers de « Combos ». Mais un autre aspect de leur développement ne doit pas être oublié : quel sera le coût de la synthèse d’acides nucléiques en quantité suffisante pour traiter un patient ?
[6] Fitzgerald, K. 2008. Communication Meeting AHA 2007