L’association entre hypothyroïdie et athérosclérose est connue depuis maintenant plus d’un siècle. En effet, c’est à la fin du XIXe siècle que l’hypothyroïdie dans sa forme myxœdémateuse a été pour la première fois associée à l’athérosclérose, à l’occasion d’autopsies de patients en hypothyroïdie qui révélaient une prévalence anormalement élevée d’athérosclérose [1]. Par la suite, le dosage de la TSH a permis le dépistage de l’hypothyroïdie à un stade plus modéré, voire asymptomatique.
fruste – ou infraclinique – concerne les patients ayant une TSH élevée avec des hormones thyroïdiennes T3 et T4 dans les limites de la normale. Il s’agit d’une situation fréquente, prédominant chez la femme et augmentant avec l’âge, qui toucherait 2 à 5 % de la population. Si les répercussions cardiovasculaires de l’hypothyroïdie franche sont bien établies, la question du risque cardiovasculaire lié à l’hypothyroïdie infraclinique est encore controversée.
L’hypothèse d’une relation causale entre l’hypothyroïdie infraclinique et l’atherosclérose a suscité la publication de nombreuses études. Malheureusement, les essais recensant la prévalence des pathologies cardiovasculaires ischémiques chez les patients en hypothyroïdie fruste apportent des résultats contradictoires. Alors que certaines études comme la Rotterdam Study montrent une augmentation de la prévalence des cardiopathies ischémiques chez des patients en hypothyroïdie infraclinique [2], d’autres essais ne retrouvent pas une telle association, et une étude a même trouvé que l’élévation de la TSH était associée à une diminution de la mortalité chez les patients âgés de plus de 85 ans [3].
Cependant, une méta-analyse récente retenant 14 études d’observation (transversales ou prospectives) apporte un éclairage nouveau sur la situation [4]. Cette méta-analyse montre que l’hypothyroïdie infraclinique est globalement associée à un risque augmenté de coronaropathies avec un odds ratio moyen de 1.65 (95 % intervalle de confiance, 1.28-2.12).
Il est intéressant de constater que la plupart des études incluses trouvent une tendance à une augmentation des pathologies coronariennes chez les patients en hypothyroïdie infraclinique, mais que cette tendance n’est significative que pour 4 d’entre elles. Il est possible qu’un manque de puissance dû à un faible nombre d’événements cardiovasculaires soit impliqué dans ces résultats, et explique en partie les divergences retrouvées dans la littérature.
En l’absence d’essais thérapeutiques randomisés étudiant l’effet de l’opothérapie substitutive sur l’incidence des pathologies cardiovasculaires chez des patients en hypothyroïdie fruste, cette méta-analyse, qui est basée sur les meilleures données d’observation disponibles actuellement, plaide en faveur d’un lien entre hypothyroïdie fruste et pathologie coronarienne.
Par quels mécanismes l’hypothyroïdie fruste est-elle susceptible de majorer le risque cardiovasculaire ? L’influence de l’hypothyroïdie franche sur l’athérosclérose est multifactorielle. D’une part, elle majore l’athérogenèse par un effet direct sur la paroi artérielle et par une action sur plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires, tels que l’hypercholestérolémie et l’hypertension artérielle mais également l’homocystéine et l’inflammation. D’autre part, l’hypothyroïdie stimulerait le processus de thrombose artérielle, en modifiant les paramètres de la coagulation.
Qu’en est-il de l’hypothyroïdie infraclinique ? Plusieurs études, incluant des essais thérapeutiques, montrent que l’hypothyroïdie infraclinique a des répercussions sur la paroi vasculaire, se manifestant par une dysfonction endothéliale [5] ou par une augmentation de l’épaisseur intima-média [6].
En ce qui concerne les facteurs de risque d’athérogenèse, il parait démontré que l’hypothyroïdie infraclinique entraîne, de façon modérée mais patente, une hypercholestérolémie portant sur le LDL-cholestérol [7].
Par contre, ses effets sur les autres facteurs de risque que sont l’hypertension artérielle, l’homocystéine ou l’inflammation sont encore à établir [8], et les données actuelles sont insuffisantes pour établir un lien entre hypothyroïdie fruste et thrombophilie.
Afin d’évaluer l’implication de ces facteurs de risque cardiovasculaires sur l’association entre hypothyroïdie et athérosclérose, nous avons conduit une étude portant sur les patients admis en hôpital de jour dans le service d’Endocrinologie-Métabolisme de la Pitié-Salpêtrière entre 1989 et 2003, pour prise en charge d’une dyslipidémie. Nous avons identifié 794 patients en hypothyroïdie, majoritairement fruste, et nous avons étudié leur degré d’athérosclérose carotidienne, comparativement à un groupe contrôle incluant 1588 patients en euthyroïdie, sélectionnés pour être comparables aux patients en hypothyroïdie sur les principaux facteurs de risque cardiovasculaires : âge, sexe, prévalence de l’hypertension artérielle, du diabète et du tabagisme, bilan lipidique et indice de masse corporelle. Le degré d’athérosclérose carotidienne était évalué en écho-doppler par la quantification des plaques d’athérome et la mesure de l’épaisseur intima-média carotidienne.
Nous avons trouvé que les patients en hypothyroïdie n’avaient pas plus d’athérosclérose carotidienne que les patients contrôles. Ceci indiquerait que le risque lié à l’hypothyroïdie fruste dépend des facteurs de risque cardiovasculaires sur lesquels les deux populations étaient appariées, comme la dyslipidémie et l’hypertension artérielle (données non publiées). Là encore, des essais thérapeutiques randomisés à grande échelle seraient souhaitables pour analyser l’effet de l’hypothyroïdie infraclinique sur ces différents facteurs de risque cardiovasculaires.
En conclusion, les données actuelles de la littérature suggèrent que l’hypothyroïdie infraclinique est associée à une augmentation du risque cardiovasculaire ischémique. Les mécanismes par lesquels l’hypothyroïdie fruste favorise l’athérosclérose sont encore mal élucidés, mais des arguments plaident en faveur d’un effet de l’hypothyroïdie fruste sur les facteurs de risque cardiovasculaires, et notamment sur l’hypercholestérolémie.
Des essais thérapeutiques randomisés sont nécessaires pour préciser si le traitement substitutif par hormones thyroïdiennes réduit le risque de pathologies cardiovasculaires chez les patients en hypothyroïdie fruste. De tels essais pourraient permettre de poser l’indication de l’opothérapie substitutive dans l’hypothyroïdie infraclinique, question qui est encore non résolue à ce jour.