La Lettre de la NSFA, n°35, mai 2008
Loïc Doeuvre, Eduardo Anglès-Cano, Inserm U919 « Sérine protéases en Pathologie Neurovasculaire », UMR 6232-CiNaps, GIP Cyceron, Caen
Les microparticules (MPs) sont de microvésicules membranaires de petite taille (entre 0,1 et 1 µm) retrouvées dans la circulation et considérées comme un déterminant du risque de thrombose au cours de plusieurs situations pathologiques comme les accidents cardio et cérébrovasculaires [1]. Elles sont expulsées par des cellules activées ou en apoptose. Une cellule devient activée sous l’action de stimuli biologiques, physiques ou infectieux (endothélium stimulé par des interleukines ou par radiation ; activation de leucocytes par des produits bactériens ; activation de plaquettes et globules rouges par des facteurs hémodynamiques). L’apoptose est un processus d’élimination cellulaire non-inflammatoire permettant le renouvellement tissulaire (homéostasie cellulaire), mais il est également un mode suicidaire de réponse à une agression observée dans des conditions pathologiques (formation de plaques d’athérome, maladies neuro-dégénératives, désordres immunitaires).
La formation, puis l’expulsion de MPs a lieu à la suite d’un stimulus entraînant un influx calcique important et un dérèglement de la distribution des phospholipides membranaires [2]. En particulier, la phosphatidylsérine (PS), normalement localisée dans le feuillet cytoplasmique de la membrane cellulaire, est exposée sur le feuillet membranaire externe, ce qui constitue une manifestation précoce de l’activation cellulaire. A ce remaniement membranaire s’ajoutent des perturbations du cytosquelette conduisant à la formation et expulsion des MPs portant à leur surface la PS véritable stigmate reconnu par l’annexine V, un anticoagulant physiologique. Cette interaction entre la PS et l’annexine V est utilisée pour détecter et mesurer, principalement par cytométrie en flux, le nombre et la taille des MPs. Dans le sang circulant, les MPs sont d’origine principalement plaquettaire mais aussi leucocytaire, érythrocytaire et endothéliale [1] [3]. Toute cellule vivante étant susceptible de produire des MPs, leur détection en périphérie serait la signature d’un processus d’activation ou d’apoptose de cellules qui restent séquestrées dans leurs tissus et sont donc inaccessibles à la détection par des moyens non invasifs. C’est la présence de glycoprotéines membranaires spécifiques de la cellule parentale qui permet l’identification de leur origine cellulaire et d’associer la présence de certaines MPs à des situations pathologiques spécifiques. Par exemple, les MPs d’origine endothéliale sont considérées comme des indicateurs de lésion endothéliale [4]. En dehors du sang, des MPs d’origine leucocytaire ont été identifiées au cours de processus inflammatoires comme l’arthrite rhumatoïde dans le liquide synovial, ou l’athérosclérose, au sein de plaques d’athérome [5]. Enfin, il est possible d’identifier de MPs d’origine cancéreuse dans le liquide d’ascite [6] [7].
La présence de PS dans le feuillet externe de la membrane et de facteur tissulaire (FT), une protéine transmembranaire synthétisée par les leucocytes et les cellules endothéliales, est étroitement liée à l’activité procoagulante des MPs [8]. La PS joue un rôle pivot dans l’assemblage membranaire de facteurs de la coagulation et le FT est le principal initiateur de la séquence d’activation aboutissant à la formation de thrombine et in fine au caillot fibrino-plaquettaire. Ces caractéristiques, présence de PS et de FT, ont conduit à une focalisation des études sur l’impact des MPs dans la coagulation et les accidents prothrombotiques principalement d’origine cardio et cérébrovasculaires [3] [8]. Plusieurs études ont ainsi montré une corrélation entre le nombre de MPs ayant une activité procoagulante et la survenue de ces accidents ischémiques cardio ou cérébrovasculaires [1].
Les nouveaux développements technologiques en biologie moléculaire et cellulaire et en protéomique ont permit, au cours de dernières années, de dévoiler de nombreuses protéines et composants de MPs [9]. Des études in vitro montrent qu’hormis les glycoprotéines identitaires et les composants procoagulants, les MPs portent également d’autres composants bioactifs [10] dérivés de la cellule parentale (récepteurs membranaires, cytokines, facteurs de transcription, ARNm ; enzymes protéolytiques).
Ainsi, à l’activité procoagulante caractéristique des MPs, nous devons maintenant ajouter une fonction profibrinolytique complémentaire. En effet, Lacroix et al. [11] ont récemment attribué une nouvelle fonction aux MPs d’origine endothéliale : leur capacité à générer de la plasmine et à développer une activité fibrinolytique et protéolytique péricellulaire. D’autres études indiquent que des métalloprotéases matricielles (MMPs) présentes sur des MPs issues de cellules cancéreuses [6] ou endothéliales [12] pourraient également induire une activité protéolytique .
Le mécanisme proposé suggère que la membrane des MPs fonctionnerait comme une large surface d’activation du plasminogène et de MMPs via la formation de plasmine par l’urokinase [13] [14]. Cette séquence de réactions ressemble au mécanisme d’activation du plasminogène décrit sur les surfaces cellulaires. Les MPs dotées de cette fonction peuvent donc former et transporter la plasmine et développer ainsi non seulement une activité fibrinolytique mais participer également dans la migration cellulaire et l’angiogenèse.
Le système d’activation du plasminogène, en étroite interaction avec le système de MMPs, constitue la plus importante source d’activité protéolytique péricellulaire (dégradation de protéines matricielles, libération de facteurs de croissance de la cellule ou de la matrice extracellulaire, génération de molécules bioactives) au cours de l’inflammation, de l’angiogenèse et des processus pathologiques comme les cancers, l’athérosclérose. Une défaillance de ce système peut conduire à des accidents ischémiques vasculaires. A l’opposé, différentes études montrent les conséquences dramatiques sur l’adhérence, l’organisation et la survie cellulaire auxquelles peut conduire une protéolyse péricellulaire exacerbée : le détachement de cellules de la matrice extracellulaire et la mort cellulaire par apoptose au cours de différentes situations pathologiques [15].
En conclusion, au delà de l’activité procoagulante bien connue des MPs, ces nouveaux développements permettent de considérer ces fragments cellulaires comme de véritables biomarqueurs, signature de lésions cellulaires ou tissulaires non détectables par de moyens non invasifs. Dans ce contexte le développement de projets spécifiques pour l’étude de ces biomarqueurs cellulaires permettra non seulement de créer de nouveaux méthodes de détection applicables en routine hospitalière, mais aussi de mieux cerner l’implication de MPs dans plusieurs pathologies au delà du domaine cardiovasculaire, en particulier, les domaines du cancer et les accidents cérébrovasculaires.
Le CHU de Caen et l’Inserm ont entrepris un tel développement sur le site dans le cadre d’un contrat d’interface hospitalière Inserm/CHU de Caen octroyé à EAC.
Les auteurs sont membres du 7e PCRD de la Commission européenne (FP7/2007-2013), projet N° 201024 ARISE (Affording Recovery in Stroke).