Lipoprotéines et métabolisme lipidique

par L. LAGROST, D. MASSON, J. CHAPMAN

Les lipides constituent une famille hétérogène de molécules hydrophobes, insolubles dans les milieux biologiques aqueux. Ils sont véhiculés à travers les divers compartiments extracellulaires de l’organisme (plasma, lymphe et liquide interstitiel) au sein d’édifices macromoléculaires complexes : les lipoprotéines.

En fait, les lipoprotéines ne constituent pas in vivo des entités stables, mais elles subissent des remaniements constants durant leur transit dans l’espace intravasculaire.

Les apolipoprotéines, les enzymes lipolytiques, les protéines de transfert et les récepteurs cellulaires vont agir de concert afin de permettre le transport et la distribution des lipides au sein de l’organisme. Dans le présent article sont décrites les trois voies essentielles du métabolisme des lipoprotéines :

  • la voie entéro-hépatique, permettant le transport des lipides exogènes de l’intestin vers le foie ;
  • la voie d’apport que représente le transport centrifuge des lipides du foie vers les tissus périphériques ;
  • et la voie de retour, permettant le transport centripète du cholestérol des tissus périphériques vers le foie et son excrétion biliaire.

Structure et fonction des lipoprotéines

Les lipoprotéines consistent en une vaste famille de particules, initialement subdivisée en plusieurs sous-groupes distincts sur la base de caractéristiques physico-chimiques, formant deux principales classes de lipoprotéines avec des mobilités électrophorétiques comparables à celles des globulines α1 et β.

Tableau 1. Caractéristiques physiques et chimiques des lipoprotéines plasmatiques humaines.

TYPE DE LIPOPROTÉINE

Chylo-microns
VLDL
IDL
LDL
HDL2
HDL3
préβHDL
Lp(a)

MOBILITÉ ÉLECTRO-PHORÉTIQUE

Pas de migration
préβ
préβ lent
β
α
α
préβ

DENSITÉ (g/ml)

0,93
0,93-1,006
1,006-1,019
1,019-1,063
1,063-1,125
1,125-1,210
1,210-1,250
1,040-1,115

TAILLE (nm)

75-1 200
30-80
27-5
18-27
9-12
7-9
<7 (disques)
25

PROPORTION EC/TG

1/19
1/3,3
l/3,5
1/0,23
1/0,22
1/0,19
nd

PRINCIPALES APOLIPO-PROTÉINES (APO)

B48, E, C
B100, E, C
B100, E
B100
AI, AII, C
AI, AII, C
AI
B100, (a)

IDL : Intermediate Density Lipoprotein ; EC : esters de cholestérol ; TG : Triglycérides ; nd : non-détectable.

La généralisation de la technique d’ultracentrifugation a permis de proposer une classification plus fine et plus complète des lipoprotéines plasmatiques [1] [2] [3]. Ainsi, si l’on considère la densité hydratée des lipoprotéines, proportionnelle à la quantité de lipides (densité inférieure à 1 g/ml) et de protéines (densité supérieure à 1 g/ml), on distingue aujourd’hui six populations plasmatiques chez la plupart des vertébrés (tableau 1). Cette subdivision a pris toute son importance dès lors que les études cliniques ont révélé que l’incidence des maladies cardiovasculaires est corrélée positivement avec le cholestérol des lipoprotéines de basse densité, alors que la corrélation est au contraire négative avec le cholestérol des lipoprotéines de haute densité (HDL) [4] [5]. Si les sous-populations diffèrent par leur densité et leur taille, elles varient également par leur composition lipidique, notamment celle du cœur hydrophobe. Les lipoprotéines les plus légères (chylomicrons et Very Low Density Lipoprotein ou VLDL) contiennent principalement des triglycérides. Les lipoprotéines de densité plus élevée (LDL et HDL) transportent essentiellement du cholestérol estérifié. Nous verrons plus loin que ce déséquilibre de composition du cœur hydrophobe entre HDL et LDL d’une part et chylomicrons et VLDL d’autre part constitue un véritable moteur dans le métabolisme des lipoprotéines chez beaucoup d’espèces, et notamment chez l’homme.

Le cœur lipidique hydrophobe des lipoprotéines, constitué d’esters de cholestérol et de triglycérides, est recouvert d’une enveloppe amphiphile dont les constituants principaux sont les phospholipides, le cholestérol non-estérifié et les apolipoprotéines. Ces dernières confèrent à chaque édifice lipoprotéique ses propriétés fonctionnelles et son devenir métabolique.

Initialement, les apolipoprotéines ont été subdivisées en trois sous-familles distinctes selon la nomenclature A, B et C [6] ; les apoA sont principalement associées aux HDL, les apoB aux LDL et les apoC aux VLDL et HDL. En fait, bien qu’encore couramment utilisée de nos jours, cette nomenclature a considérablement évolué au cours des trente dernières années, en raison de la découverte de nouvelles apolipoprotéines et de profils de distribution spécifiques au sein des lipoprotéines plasmatiques (tableau 2). Par exemple, alors que les apolipoprotéines A-I et A-II se localisent quasi-exclusivement dans les HDL, l’apolipoprotéine A-IV peut aussi s’associer aux lipoprotéines riches en triglycérides ; les apolipoprotéines B se localisent non seulement dans les LDL, mais également dans les VLDL et les chylomicrons : les apoE, comme les apoC, ne sont pas associées à un seul type de lipoprotéines, mais se retrouvent à la fois dans les VLDL et les HDL (tableau 2).

Tableau 2. Identité, expression tissulaire, distribution plasmatique et fonction des principales apolipoprotéines humaines.

NOM

apo AI
apo AII
apo AIV
apo AV
apo B100
apo B48
apo CI
apo CII
apo CIII
apo D
(apo AIII)
apo E
apo F
apo G
apo H
(b2 glyco-protéine I)
apo J
(clusterine)
apo L
apo SAA

TISSU

foie, intestin
foie (intestin)
foie, intestin
foie
foie
intestin
foie (intestin)
foie (intestin)
foie (intestin)
foie, intestin, rate pancréas, cerveau, surrénales, rein
foie, macrophage, cerveau
foie

DISTRIBUTION

chylo, HDL
HDL
chylo, HDL

VLDL, IDL, LDL
chylomicrons
chylo, VLDL, HDL
chylo, VLDL, HDL
chylo, VLDL, HDL
HDL, LDL, VLDL
chylo, VLDL, IDL, HDL
LDL (VLDL, HDL)
HDL
HDL
HDL
HDL, chylo

FONCTION

Structurelle ; activateur physiologique de la LCAT ; efflux de cholestérol
Structurelle ; activateur/inhibiteur de la HL ; efflux de cholestérol
Transport reverse du cholestérol ; activateur de la LCAT ; métabolisme des lipoprotéines riches en triglycérides
Métabolisme des lipoprotéines riches en triglycérides
Structurelle : synthèse et sécrétion des VLDL ; ligand du récepteur LDLR
Structurelle ; synthèse et sécrétion des chylomicrons ; ligand du récepteur B48R
Inhibiteur physiologique de la CETP ; activateur de la LCAT ; inhibiteur de la liaison aux LDLR, LRP et VLDLR
Activateur physiologique de la LPL
Inhibiteur physiologique de la LPL ; inhibiteur de la captation hépatique des lipoprotéines riches en TG
Transport reverse du cholestérol (?)
Ligand des récepteurs LDLR et LRP
Inhibiteur de la CETP
?
?
Anti-inflammatoire
?
Phase aiguë de l’inflammation

Dans les conditions normales, la synthèse et la sécrétion des lipoprotéines riches en triglycérides dans les entérocytes, en phase postprandiale, sont directement fonction du taux d’absorption des lipides. Au cours du jeûne, les entérocytes conservent une capacité de synthèse et de sécrétion de lipoprotéines riches en triglycérides ; ces molécules dérivent alors de l’hydrolyse des phospholipides biliaires, ou de débris cellulaires provenant de la muqueuse intestinale. Les chylomicrons prennent en charge et transportent également le cholestérol alimentaire qui est transformé en esters de cholestérol au sein des entérocytes par une enzyme spécifique localisée dans le réticulum endoplasmique l’acyl coenzyme A-cholesterol-acyltransferase (ACAT) [12]. Le cœur hydrophobe des chylomicrons est constitué pour une large part de triglycérides, et la proportion relative d’esters de cholestérol et de triglycérides est directement dépendante des taux d’absorption des acides gras et du cholestérol au niveau du tractus digestif. Au niveau du réticulum endoplasmique, les particules de type chylomicron contiennent déjà l’apoB48, essentielle à leur assemblage. Elles sont ensuite concentrées au sein de l’appareil de Golgi dans des vésicules de sécrétion qui vont migrer, puis fusionner avec la membrane plasmique au pôle basolatéral de l’entérocyte afin d’être déversées dans l’espace extracellulaire.

Les chylomicrons d’origine intestinale, initialement sécrétés dans la lymphe mésentérique, rejoignent la circulation sanguine au niveau de la veine sous-clavière gauche. Les chylomicrons peuvent alors se lier très rapidement à la lipoprotéine lipase (LPL), enzyme lipolytique ancrée à l’endothélium des capillaires sanguins de nombreux tissus périphériques par des groupements de type héparane sulfate (tissu adipeux, cœur, muscle squelettique, cerveau) [13] (tableau 4, fig. 3). En plus de l’apolipoprotéine B48, qui ne peut pas s’échanger librement entre les lipoprotéines circulantes, les chylomicrons natifs contiennent les apolipoprotéines A-I, A-II et A-IV nouvellement synthétisées. Ils acquièrent rapidement des apolipoprotéines C et E provenant des HDL.

Au cours de l’hydrolyse des triglycérides par la lipoprotéine lipase, dont le cofacteur est l’apolipoprotéine C-II, des acides gras non estérifiés sont libérés et rapidement captés par les tissus. De plus, les apolipoprotéines A (en particulier l’apolipoprotéine A-I) et C vont se dissocier, contribuant ainsi à l’émergence de nouvelles particules HDL. Nous verrons un peu plus loin que cette étape de formation de particules HDL naissantes, riches en protéines et pauvres en lipides, constitue une étape clé d’une autre voie de transport des lipides, celle qui permet le retour du cholestérol excédentaire des tissus périphériques vers le foie.

Plusieurs tissus périphériques, principalement le cœur, le muscle squelettique et le tissu adipeux, internalisent directement une partie des particules résiduelles de chylomicron avant qu’elles ne soient prises en charge par le foie [14]. Finalement, les particules résiduelles non-captées, ayant perdu une large part de leurs triglycérides et de leurs apolipoprotéines mineures (dont les apoA-I et C-II), sont catabolisées par les hépatocytes par l’intermédiaire d’une endocytose récepteur-dépendante (tableau 5). Dans cette dernière étape, le récepteur des LDL et le récepteur LRP [14] contribuent à la reconnaissance et à l’internalisation hépatique des particules résiduelles qui contiennent l’apolipoprotéine E. Le récepteur LRP, récepteur cellulaire multifonctionnel, est également capable de lier la lipoprotéine lipase qui peut se retrouver associée à la particule résiduelle de chylomicron qu’elle a contribué à façonner [15]. La particule résiduelle (remnant) ainsi internalisée peut alors fusionner avec des lysosomes qui induisent une lipolyse et une protéolyse quasi complète de ses constituants Le cholestérol sera alors principalement intégré dans de nouvelles lipoprotéines synthétisées par le foie (VLDL) ou excrété dans les canalicules biliaires, sous forme native ou dérivée.

Fig. 2. – Assemblage intracellulaire des lipoprotéines riches en triglycérides (chylomicrons et VLDL).
La MTP transfère des lipides sur l’apolipoprotéine B et lui permet d’acquérir une conformation appropriée et de poursuivre sa translocation dans le réticulum endoplasmique. Au terme de cette première étape, une lipoprotéine intermédiaire est formée. Cette dernière subit alors une étape de maturation qui consiste en la fusion avec une vésicule lipidique dépourvue d’apoB et générée par la MTP elle-même. Au final, la lipoprotéine mature qui résulte de ce processus intracellulaire est sécrétée dans le milieu extracellulaire. PL : phospholipides ; MTP : microsomal triglyceridetransfer protein ; EC : esters de cholestérol ; TG : triglycérides.

Fig. 3. – Action de la lipoprotéine lipase sur les lipoprotéines plasmatiques riches en triglycérides (chylomicrons, VLDL).
La lipoprotéine lipase, associée aux protéoglycanes de la face luminale de l’endothélium vasculaire, hydrolyse les triglycérides des chylomicrons et VLDL. Cette action conduit à la formation de particules résiduelles de chylomicrons (remnants) et de particules IDL et LDL. La présence sur les lipoprotéines riches en triglycérides d’apoCll, cofacteur de la LPL, est requise afin d’obtenir une activité maximale d’hydrolyse des triglycérides. La LPL joue également un rôle de ligand facilitant la captation cellulaire des VLDL et LDL.

Tableau 4. Principales enzymes et protéines de transfert impliquées dans le métabolisme intravasculaire des lipoprotéines.

PROTÉINE

LPL
HL
EL
Endothelial Lipase
LCAT
CETP
PLTP
PON1
Paraoxonase
PAF acétylhydrolase
plasma Platelet-Activating Factor ou lipoprotein-associated PLA2

PRINCIPALE LOCALISATION

endothélium
endothélium
endothélium
HDL
HDL
HDL
HDL
HDL, LDL, Lp(a)

FONCTION

hydrolyse des triglycérides, des chylomicrons et VLDL
hydrolyse des triglycérides et des phospholipides des VLDL remnants, IDL, LDL et HDL
hydrolyse des phospholipides des HDL
estérification du cholestérol des HDL (activité aLCAT) et des LDL(activité bLCAT)
transfert des esters de cholestérol, des triglycérides et des phospholipides
transfert de phospholipides, lipopolysaccharides, diacylglycérides, cholestérol libre, a-tocophérol
hydrolyse des lipides oxydés pro-inflammatoires
hydrolyse du PAF et de dérivés lipidiques hydroperoxydés

Tableau 5. Récepteurs cellulaires des lipoprotéines.

NOM

LDLR
LDL-receptor
LRP
LDL-receptor related protein
VLDLR
VLDL-receptor
ER-2
apoE-receptor
Mégaline
Cubiline
SR-AI/AII
scavenger receptor types AI/AII
SR-B1
scavenger receptor type B1
CD36
glycoprotein IV
SREC
Scavenger Receptor expressed by Endothelial Cells
LOX1
lectin-like oxidized LDL receptor
B48R
apoB48 receptor

FAMILLE

LDL-receptor
LDL-receptor
LDL-receptor
LDL-receptor
LDL-receptor

scavenger receptor class A
scavenger receptor class B
scavenger receptor class B

lectin

PRINCIPAUX TISSUS

foie, muscle, cerveau, cœur
foie, cerveau, poumon
muscle, cœur, tissu adipeux
cerveau, placenta
rein, intestin, placenta
rein, intestin, placenta
macrophages, endothélium
foie, tissus stéroïdogènes
monocytes, endothélium, plaquettes, adipocytes, cellules musculaires lisses
cellules endothéliales
macrophages, cellules endothéliales
macrophages, endothélium

TYPE DE LIPOPROTÉINE CONCERNÉ

LDL, VLDL, VLDL remnants, chylomicron remnants
VLDL, VLDL remnants, chylomicron remnants
VLDL, VLDL remnants, chylomicron remnants
VLDL, VLDL remnants, chylomicron remnants
HDL,LDL,VLDL
HDL
LDL oxydées
LDL acétylées
HDL, LDL, VLDL
LDL modérément oxvdées
LDL oxydées
LDL acétylées
LDL oxydées
chylomicrons
chylomicron remnants

LIGAND

apoB100, E
apoE
apoE
apoE
apoE, B100, AI
apoAl
polyanions
apoAI, B

apoB48