La Lettre de la NSFA, n°33, janv. 2008
Dr Luc Dauchet, CHU Lille
Le 13 novembre 2007, l’INRA a rendu public une expertise sur « Les fruits et légumes dans l’alimentation » [1]. Ce rapport comprend une synthèse de la littérature portant sur les effets des fruits et légumes sur la santé et a été l’occasion d’analyser les relations entre consommation de fruits et légumes et maladies cardiovasculaires.
Mécanismes protecteurs supposés des fruits et légumes
De nombreuses molécules biologiquement actives ont été identifiées dans les fruits et légumes [2], telles que les micro-nutriments antioxydants qui préviennent l’oxydation des LDL, les fibres qui diminuent la réabsorption intestinale du cholestérol, des minéraux comme le potassium qui diminue la pression artérielle, les phytostérols ou encore les folates. De plus, les fruits et légumes présentent une faible densité énergétique et sont pauvres en acides gras, notamment saturés.
Les enquêtes épidémiologiques
Des méta analyses récentes ont permis de synthétiser les résultats des études de cohortes portant sur la relation entre consommation de fruits et légumes et risques de maladies cardiovasculaires ( voir tableau ). Dauchet et coll. ont retrouvé une diminution de 5% [2-7%] du risque d’accident vasculaire cérébral [3] et de 4% [1-7%] du risque d’accident coronaire [4] par portion quotidienne supplémentaire de fruits et légumes. La relation était plus marquée avec les fruits qu’avec les légumes. He FJ et coll. ont trouvé une diminution du risque relatif d’accident vasculaire cérébral de 26% [5] et une diminution du risque relatif de cardiopathie ischémique de 17% [6] entre les sujets qui consomment 5 portions de fruits et légumes par jour et ceux qui en consomment moins de 3.
Tableau récapitulatif des méta analyses portant sur le relation entre risque cardiovasculaire et consommation de fruits et légumes
Accidents coronariens
Accidents vasculaires cérébraux
nombre de cohortes
RR
nombre de cohortes
RR
Dauchet et coll.
Fruits et légumes (une portion supplémentaire)
6
0,96[0,93-0,99]
6
0,95[0,92-0,97]
Fruits (une portion supplémentaire)
6
0,93[0,89-0,96]
5
0,89[0,85-0,93]
Légumes (une portion supplémentaire)
7
Incidence : 0,95[0,92-0,99]
Mortalité : 0,74[0,65-0,84]
4
0,92[0,83-1,01]
He FJ et coll.
Fruits et légumes (>5/jour vs <3 par jour)
13
0,83[0,77-0,89]
9
0,74[0,69-0,79]
Fruits (>5/jour vs <3 par jour)
9
0,87[0,80-0,95]
6
0,72[0,66-,079]
Légumes (>3 /jour vs <1,3 par jour)
9
0,84[0,76-0,92]
6
0,81[0,72-0,90]
Ces meta analyses ont montré des résultats convergents et des relations doses dépendantes. Ces derniers arguments sont en faveur d’un effet protecteur des fruits et légumes. Néanmoins un biais de publication est probable et l’interprétation des études de cohortes est difficile en raison de possibles facteurs de confusion. En effet, la consommation de fruits et légumes est généralement associée à d’autres comportements (non-fumeur, activité physique, niveau au socio économique élevé..) qui expliquent en partie les associations. Seules les études d’interventions permettent de s’affranchir de ces facteurs de confusion. Enfin, les études publiées à ce jour ont été réalisées pour la plupart en Amérique du Nord.
Effet des antioxydants
Les essais randomisés de prévention sont dans l’ensemble décevants. Une augmentation de la mortalité est associée à la supplémentation en vitamine E [7] [8], en β-carotène et en vitamine A [7] et aucun effet protecteur d’une supplémentation en multi-vitamines et minéraux n’a été observé [9]. Seul un éventuel effet bénéfique des folates en prévention primaire est retrouvé [10]. Toutefois, la plupart de ces essais ont utilisé des doses pharmacologiques de vitamines, bien supérieures à aux sources alimentaires des fruits et légumes. Ceci pourrait expliquer les effets délétères observés. Néanmoins aucun résultat ne permet d’étayer l’hypothèse du rôle protecteur de vitamines antioxydantes.
Pression artérielle et Cholestérolémie
Plusieurs essais d’intervention randomisés ont rapporté un effet modéré, mais significatif, de la consommation de fruits et légumes sur la pression artérielle. Par exemple, dans l’étude DASH, 459 sujets avec une élévation modérée de la pression artérielle ont été randomisés en 3 groupes d’intervention nutritionnelle : un groupe fruits et légumes, un groupe DASH (riche en fruits, légumes et en calcium et pauvre en acides gras saturés) et un régime témoin (alimentation américaine habituelle) [11]. Les résultats montrent une diminution de -2,8 mm de Hg la pression artérielle systolique et de 1,1 de la diastolique dans le groupe fruits et légumes comparativement aux témoins. Cet effet était plus marqué chez les sujets hypertendus. Ces résultats ont été confirmés dans d’autres études.
A l’inverse de la tension artérielle, les essais qui ont rapporté un effet de la consommation de fruits et légumes sur la pression artérielle n’ont généralement pas démontré d’effet sur la cholestérolémie.
Les essais d’intervention portant sur la morbi mortalité
Seuls des essais interventions ayant pour critère de jugement les événements cardiovasculaires peuvent apporter une preuve formelle d’un effet protecteur des fruits et légumes. Ces essais sont rares et difficiles à réaliser. En prévention secondaire, l’essai randomisé DART II n’a pas retrouvé d’effet de conseils nutritionnels visant à augmenter la consommation de fruits et légumes, de fibres alimentaires et de jus d’orange naturel sur la survenue d’accidents vasculaires chez des patients angineux [12]. En prévention primaire, la « Women’s Health Initiative Randomized Controlled Dietary Modification Trial » a mesuré l’effet de conseils diététiques pour augmenter la consommation de fruits et légumes à 5 portions par jour et réduire les apports lipidiques sur la survenue de maladies cardiovasculaires [13] chez des femmes ménopausées. Les taux d’événements coronaires ou vasculaires cérébraux n’étaient pas significativement différents entre les 2 groupes. Ces résultats décevants doivent cependant être nuancés car l’intervention nutritionnelle a généralement eu un impact très modeste sur les comportements alimentaires et la consommation de fruits et légumes en particulier pouvant expliquer les résultats négatifs.
Conclusion
Les études de cohortes montrent que les grands consommateurs de fruits et légumes ont une incidence plus faible de maladie cardiovasculaire, sans qu’il soit possible de distinguer l’effet propre des fruits et légumes de celui des autres comportements associés à la consommation de fruits et légumes et en particulier de l’effet de substitution (les fruits et légumes pouvant être consommés à la place d’aliments plus riches en énergie et en graisse).
[1] Amiot-Cartin MJ, Caillavet F, Combris P, Dallongeville J, Padilla C, Renard LG et al. Les fruits et légumes dans l’alimentation. Enjeux et déterminants de la consommation. Expertise scientifique collective, synthèse du Rapport, INRA (France), 80 p. Soler LG, editor. 13-11-2007.
[2] Bazzano LA. Dietary intake of fruit and vegetables and risk of diabetes mellitus and cardiovascular diseases. WHO Library Cataloguing-in-Publication Data . 2005.
[3] Dauchet L, Amouyel P, Dallongeville J. Fruit and vegetable consumption and risk of stroke : a meta-analysis of cohort studies. Neurology 2005 ; 65(8):1193-7.
[4] Dauchet L, Amouyel P, Hercberg S, Dallongeville J. Fruit and vegetable consumption and risk of coronary heart disease : a meta-analysis of cohort studies. J Nutr 2006 ; 136:1-6.
[5] He FJ, Nowson CA, MacGregor GA. Fruit and vegetable consumption and stroke : meta-analysis of cohort studies. Lancet 2006 ; 367(9507):320-6.
[6] He FJ, Nowson CA, Lucas M, MacGregor GA. Increased consumption of fruit and vegetables is related to a reduced risk of coronary heart disease : meta-analysis of cohort studies. J Hum Hypertens 2007 ; 21(9):717-28.
[7] Bjelakovic G, Nikolova D, Gluud LL, Simonetti RG, Gluud C. Mortality in randomized trials of antioxidant supplements for primary and secondary prevention : systematic review and meta-analysis. JAMA 2007 ; 297(8):842-857.
[8] Miller ER 3rd , Pastor-Barriuso R, Dalal D, Riemersma RA, Appel LJ, Guallar E. Meta-analysis : high-dosage vitamin E supplementation may increase all-cause mortality. Ann Intern Med 2005 ; 142(1):37-46.
[9] Huang HY, Caballero B, Chang S, Alberg AJ, Semba RD, Schneyer CR et al. The efficacy and safety of multivitamin and mineral supplement use to prevent cancer and chronic disease in adults : a systematic review for a National Institutes of Health state-of-the-science conference. Ann Intern Med 2006 ; 145(5):372-385.
[10] Wang X, Qin X, Demirtas H, Li J, Mao G, Huo Y et al. Efficacy of folic acid supplementation in stroke prevention : a meta-analysis. Lancet 2007 ; 369(9576):1876-1882.
[11] Appel LJ, Moore TJ, Obarzanek E, Vollmer WM, Svetkey LP, Sacks FM et al. A clinical trial of the effects of dietary patterns on blood pressure. DASH Collaborative Research Group. N Engl J Med 1997 ; 336(16):1117-1124.
[12] Burr ML, Ashfield-Watt PA, Dunstan FD, Fehily AM, Breay P, Ashton T et al. Lack of benefit of dietary advice to men with angina : results of a controlled trial. Eur J Clin Nutr 2003 ; 57(2):193-200.
[13] Howard BV, Van Horn L, Hsia J, Manson JE, Stefanick ML, Wassertheil-Smoller S et al. Low-fat dietary pattern and risk of cardiovascular disease : the Women’s Health Initiative Randomized Controlled Dietary Modification Trial. JAMA 2006 ; 295(6):655-666.