Le nombre de personnes atteintes de diabète, en France, est estimé à plus de 2 millions, dont 90% présentent un diabète de type 2. La prévalence de ce diabète est ainsi estimée à près de 3% dans la population française [1] [2]. Les complications à long terme, qui justifient de la gravité de la maladie, comprennent essentiellement les atteintes du système circulatoire, notamment macrovasculaire : les maladies cardiovasculaires sont la cause de décès de la moitié des patients diabétiques [2].
Dans le contexte de maladies multifactorielles comme les maladies cardiovasculaires, la complexité de la mise en place d’une prévention optimisée, au niveau de la population, nécessite de définir au plus juste les segments de la population concernés, notamment du point de vue de l’âge. Or si, comme chez les sujets non diabétiques, l’âge est considéré comme un facteur de risque cardiovasculaire important chez le sujet diabétique, la relation entre l’âge et le niveau de risque n’est pas parfaitement connue, en particulier chez le sujet jeune. Il en résulte une incertitude sur l’âge-seuil à partir duquel il est opportun d’envisager la prise en charge, en termes de prévention, du sujet diabétique. La question ici est particulièrement d’importance dans la mesure où la prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez le sujet diabétique est au niveau d’exigence d’une prévention secondaire conduite chez le sujet non diabétique.
Une étude récemment publiée par la revue The Lancet [3], réalisée sur un échantillon d’effectif important constitué à partir des bases de données de l’assurance maladie canadienne, a comparé le risque cardiovasculaire de patients diabétiques et de sujets non diabétiques conditionnellement à l’âge, au sexe, et aux antécédents récents (< 3 ans) d’infarctus du myocarde aigu (AMI). Sur le plan méthodologique, cette étude rétrospective a inclus 379 003 sujets diabétiques et 9 018 082 sujets indemnes de diabète, résidant dans la province de l’Ontario. Les cas de diabètes ont été recensés de façon exhaustive à partir des données de l’assurance maladie collectées durant 6 années consécutives (1994-2000). Outre un infarctus du myocarde aigu, des critères de jugement composites ont été constitués associant AMI et mortalité toute cause ou AMI, accidents vasculaires cérébraux et mortalité toute cause. Sur la période étudiée, 573 515 nouveaux événements cardiovasculaires ont été enregistrés, la proportion de sujets diabétiques étant de 18,3% (n=104 702).
Les principaux résultats de cette étude sont les suivants :
i- Quelque soit le critère de jugement considéré, simple (AMI) ou composite, l’âge moyen d’apparition d’un événement cardiovasculaire est systématiquement 15 ans plus précoce chez le sujet diabétique que chez le sujet indemne de diabète, et ceci quelque soit le niveau de risque estimé à 10 ans (inférieur ou supérieur à 20%).
ii- La transition d’un risque modéré à 10 ans (10-19%) d’AMI ou de décès toute cause vers un risque élevé (≥20%) s’effectue chez le sujet diabétique, en moyenne, à 48 ans chez les hommes et à 54 ans chez les femmes.
iii- Concernant le risque composite d’AMI ou de décès toute cause : à partir de 50 ans, les hommes diabétiques sans antécédents d’AMI présente un risque comparable à celui des hommes non diabétiques ayant présenté un AMI. En revanche, chez les hommes âgés de moins de 50 ans, et chez les femmes quelque soit l’âge, ce risque associé au diabète reste inférieur à celui des sujets non diabétiques ayant des antécédents d’AMI.
iv- Concernant le risque d’AMI : quelque soit l’âge, le risque des sujets diabétiques sans antécédents d’AMI est significativement inférieur à celui de sujets non diabétiques présentant des antécédents d’AMI. En revanche, comparés aux sujets indemnes de diabète et d’AMI, les sujets diabétiques présentent un risque systématiquement plus élevé. L’augmentation relative du risque est particulièrement importante (12 à 40 fois plus élevée) chez les sujets âgés de moins de 35 ans mais peut être, au moins en partie, expliquée par la faible prévalence d’événements cardiovasculaires chez les sujets jeunes non diabétiques et sans antécédents cardiovasculaires.
vi- Enfin, si chez les sujets non diabétiques, le risque relatif d’AMI des hommes par rapport aux femmes est environ 2.5 fois plus élevé, cette différence est réduite chez les sujets diabétiques (1.4) sans être annulée.
L’intérêt de cette étude porte essentiellement sur les points suivants :
i- Les données confirment que la population de sujets diabétiques présente un risque significativement augmenté d’AMI et de mortalité toute cause. Elles soulignent également le vieillissement artériel prématuré des sujets diabétiques, estimé à environ 15 ans. L’étude justifie ainsi l’attention particulière portée aux sujets diabétiques en matière de prévention des maladies cardiovasculaires.
ii- En établissant chez les hommes diabétiques âgés de plus de 50 ans un niveau de risque cardiovasculaire ou de mortalité toute cause équivalent à celui des hommes non diabétiques mais présentant des antécédents d’AMI, l’étude justifie que les mesures de prévention primaire instaurée soit au niveau d’une prévention cardiovasculaire secondaire, au moins dans ce segment de la population.
iii- Chez le sujet diabétique âgé de moins de 40 ans, si le risque relatif d’AMI est particulièrement élevé, le risque absolu estimé à 10 ans reste faible à modéré. Sans exclure la nécessité de traiter le diabète, il en résulte que la systématisation d’une prévention des maladies cardiovasculaires chez ces sujets ne semble pas justifiée mais devrait plutôt être envisagée au cas par cas, conditionnellement à la présence concomitante d’autres facteurs de risque cardiovasculaires.
Les conclusions de ce travail, portant sur un effectif de sujets particulièrement important, sont donc intéressantes, même si l’étude connaît quelques limites méthodologiques. Ainsi, aucune information sur le type de diabète ou la durée de la maladie n’a pu être prise en compte. Il en est de même concernant les autres facteurs de risque conventionnels de maladies cardiovasculaires. Enfin, l’utilisation de critères de jugement composites, incluant notamment la mortalité toute cause, peut conduire à une sous-estimation de la relation avec le risque cardiovasculaire.
En conclusion, cette enquête de grande ampleur offre des pistes intéressantes dans la définition de l’âge à partir duquel une stratégie de prévention des maladies cardiovasculaires doit être envisagée chez le sujet diabétique. Néanmoins, il reste indispensable de confirmer ces premières données par des études épidémiologiques indépendantes prenant en compte plus largement les facteurs de risque et portant sur de larges échantillons de sujets rigoureusement caractérisés d’un point de vue diagnostic.
[2] Simon D, Eschwege E. Données épidémiologiques sur le diabète de type 2. BEH 2002 ;21;20/21:86.